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Au Niger, la junte sourde aux pressions américaines

A Niamey, la même histoire se répète à chaque visite depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023. Celle d’une junte qui oppose un non catégorique aux conditions posées par les diplomates occidentaux comme ouest-africains, missionnés à Niamey pour tenter tantôt d’obtenir un retour à l’ordre constitutionnel, tantôt un maintien des partenariats. Du mardi 12 au jeudi 14 mars, c’est le sort qui a été réservé à une importante délégation américaine par le régime militaire nigérien, qui refuse jusqu’à présent de libérer le chef d’Etat déchu Mohamed Bazoum et sa femme, toujours retenus dans l’enceinte du palais présidentiel.
A Niamey, la secrétaire d’Etat adjointe aux affaires africaines, Molly Phee, accompagnée de la secrétaire d’Etat adjointe à la défense, Celeste Wallander, et du général Michael Langley, le patron du commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom), a rencontré à deux reprises le premier ministre du gouvernement de transition, Ali Mahamane Lamine Zeine, ainsi que des militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, l’organe décisionnaire de la junte. Avec un objectif affiché publiquement par le département d’Etat américain : négocier « le retour du Niger sur la voie de la démocratie et l’avenir [du] partenariat [avec les Etats-Unis] en matière de sécurité et de développement ».
Après trois jours sur place, les officiels américains sont repartis bredouilles de ce séjour dont les contours semblaient mal définis. Selon un conseiller du gouvernement de transition joint par « Le Monde Afrique », la délégation américaine a « dit vouloir reprendre la coopération militaire avec le Niger », après que celle-ci a été suspendue par l’administration de Joe Biden au lendemain du coup d’Etat. Mais à une condition, selon lui : que la junte puisse garantir à Washington que ses quelque mille soldats présents dans le pays « ne soient pas au même endroit, sur le même terrain, que les Russes ».
Cette conditionnalité a manifestement irrité le régime nigérien qui ne cesse de se rapprocher de Moscou, notamment sur le plan militaire, depuis son arrivée au pouvoir. « On leur a dit leurs quatre vérités. Ce n’est pas la peine de venir chez nous pour nous faire des injonctions. C’est à nous de décider des termes de la présence étrangère sur notre sol ! », raconte la même source.
Les Etats-Unis subiront-ils le même sort que la France, dont les soldats ont été chassés en 2023 après que la junte a dénoncé les accords de défense encadrant leur présence ? « Nous n’avons pas encore tranché », poursuit le conseiller du gouvernement. Pour afficher sa fermeté, le régime dirigé par le général Abdourahamane Tiani a opposé, selon nos informations, une fin de non-recevoir au souhait de la délégation américaine de le rencontrer.
Molly Phee, Celeste Wallander et le général Michael Langley ont eu beau prolonger leur séjour dans la capitale de vingt-quatre heures dans l’espoir d’obtenir gain de cause, ils sont repartis jeudi pour Washington sans aucune garantie sur un retour à l’ordre constitutionnel ou sur l’avenir de leur présence militaire dans le pays, selon la partie nigérienne. Contacté, le département d’Etat n’a pas répondu aux sollicitations du « Monde Afrique ».
Concernant le maintien de sa présence militaire sur place, Washington est dans l’urgence. Car selon un article publié en août 2018 par le site d’information The Intercept, l’accord décennal autorisant les Etats-Unis à exploiter la base américaine d’Agadez, au nord du Niger, arrive à expiration en 2024. Or cette emprise constitue le principal point de projection des vecteurs aériens de Washington au Sahel et Sahara, lui permettant de mener des opérations de renseignements sur les nombreux groupes armés, djihadistes comme criminels, qui pullulent notamment au sud de la Libye.
Sans la base d’Agadez, la capacité de l’Africom à « soutenir les objectifs stratégiques et opérationnels » que s’est fixée Washington « en Afrique de l’Ouest sera gravement limitée », écrivait en février 2015 l’armée de l’air américaine, dans un document interne consulté par « Le Monde Afrique ». Cette emprise représente en outre un investissement non négligeable pour les Etats-Unis : au moins 50 millions de dollars pour sa construction, selon ce même document, sans compter son coût d’exploitation, 30 millions de dollars par an selon The Intercept.
La remise en cause de ce partenariat militaire par les nouvelles autorités de fait à Niamey n’est pas surprenante. Mi-janvier, le ministre de la défense, le général Salifou Mody, avait prévenu que le régime allait entamer sous peu un dialogue avec ses partenaires étrangers afin de « définir les grandes lignes de leur participation ou bien de leur présence sur le territoire nigérien », avait-il déclaré depuis Moscou, comme l’a rapporté Radio France internationale.
Lors de ce séjour en Russie au cours duquel la délégation nigérienne, dirigée par le premier ministre Lamine Zeine, avait rencontré les vice-ministres russes de la défense Iounous-bek Evkourov et Alexandre Fomine, un renforcement de la coopération militaire entre Niamey et Moscou avait été annoncé. Le ministère russe de la défense avait alors précisé qu’il était notamment question d’« accroître l’aptitude au combat des forces armées » nigériennes. « Les choses vont vite […] Très bientôt, dans le domaine de renforcement des capacités de nos forces, les activités vont démarrer », s’était quant à lui félicité Salifou Mody.
Les bases de l’intensification de la coopération en matière de défense entre les deux pays avaient été jetées à Niamey un mois plus tôt par le vice-ministre Iounous-bek Evkourov. Le 4 décembre, ce dernier avait été reçu avec tous les honneurs par le général Tiani. Un protocole d’accord de défense avait été signé, mais son contenu est resté secret, alimentant les spéculations des chancelleries occidentales sur un possible déploiement de paramilitaires russes dans le pays, comme le Mali et le Burkina Faso, deux régimes militaires alliés à la junte nigérienne au sein de l’Alliance des Etats du Sahel, l’ont fait précédemment.
Pour tenter de contrer les velléités expansionnistes du rival russe dans la région, Molly Phee s’était à son tour rendue dans la capitale nigérienne les 12 et 13 décembre. La secrétaire d’Etat adjointe avait alors ouvert la voie à une reprise de la coopération militaire en posant des conditions qui furent là encore ignorées par la junte : l’annonce d’un délai de transition rapide et crédible débouchant sur des élections.
Trois mois plus tard, aucune date de fin de transition n’a été annoncée. Le président déchu Mohamed Bazoum reste quant à lui prisonnier de ses tombeurs, en dépit des appels de la communauté internationale en faveur de sa libération. « La junte est maîtresse du jeu. Son objectif est de montrer aux yeux du monde qu’elle n’obéira aux injonctions de personne. C’est ce qu’elle a fait avec les Américains comme avec la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest] », analyse une source sécuritaire ouest-africaine.
Fin janvier, le Niger avait annoncé, conjointement avec le Mali et le Burkina Faso, quitter la Cédéao. Les trois pays, malgré les incitations des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest pour les faire revenir sur leur décision, restent depuis inflexibles.
Morgane Le Cam
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